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Source : Libération / Photo Sophie Rodriguez

Accouchements : Démasquons les mères ?

Quand le plus beau jour d’une vie vire au cauchemar. C’est le calvaire de beaucoup de mamans qui ont vu leur accouchement mis à mal à cause du port du masque obligatoire pendant l’effort. 

Accoucher en période de Covid-19 n’est pas une mince à faire : test PCR, désinfection constante, geste barrière. Compliqué de respecter toutes les précautions lorsqu’on est en pleine contraction. Que se passe t’il quand les règles sanitaires vont à l'encontre de la santé des patientes ?  C’est le cas du port du masque pendant l’accouchement, rendu obligatoire dans plus de 60 % des maternités en France. Règle qui paraît surréaliste puisque l’on sait que lors d’un jogging en ville, il n’est pas obligatoire. 

Des femmes traumatisées, de véritables problèmes pour la santé

 

Elodie, 26 ans, a dû accoucher masquée. Malgré ses demandes pour retirer le masque, elle n’a pas été entendue. La jeune mère raconte son traumatisme.

 

Elodie est loin d’être un cas isolé. Elles sont un millier de femmes à dénoncer les difficultées de porter un masque pendant l’accouchement. Le collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques relaie leur témoignage sur Twitter avec le hashtag #StopAccouchementMasqué : 

Les femmes vivent un véritable traumatisme, elles suffoquent, vomissent, cela entraîne même des crises de panique", décrit la fondatrice et porte-parole, Sonia Bisch. Ayant elle-même vécu un accouchement traumatisant, elle a décidé de s’engager et de porter la parole de ces femmes. 

Dans un rapport publié en juillet sur "la grossesse, l’accouchement et le post-partum pendant l'épidémie de Covid-19", le collectif observe une corrélation entre les femmes portant le masque le jour de l’accouchement et une hausse des complications, telles que la fièvre, l’usage du forceps ou encore la déchirure du périnée. Les propos s’appuient en partie sur des témoignages : “Au cours de l’accouchement, le port du masque pendant la poussée a été un frein pour la prise d’air et une bonne poussée. Le médecin a donc dû avoir recours aux forceps”. Et puis :  “Révision utérine avec port d’un masque obligatoire, inhumain je trouve ". 46 % des femmes ont dû accoucher masqués. 

Le rapport met en lumière un vécu traumatisant tant sur le plan physiologique où il peut être source de complications (empêchant une bonne prise d’air pour accompagner la poussée), que sur le plan psychologique : une source d’anxiété et une dimension déshumanisante. 

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Enquête nationale de la naissance pendant le Covid-19

“Au moment de pousser avec le masque j’étouffais”

Amélie, maman de 29 ans originaire du Loiret a donné naissance au petit Maxence en août dernier. En pleine crise de Covid, on l'oblige à garder son masque durant tout l’accouchement lorsque le personnel soignant se trouve avec elle. Aucun soignant n’est équipé de masque FFP2, ils portent tous des masques chirurgicaux. Cette maman asthmatique a beaucoup souffert de cet accouchement masqué. En pleine contraction, la femme devait répondre aux questions de l'anesthésiste, qui n’entendait rien à cause du masque. Elle hurlait. “Au moment de pousser avec le masque j’étouffais, j’ai beaucoup peiné à respirer pour pouvoir pousser, on ne peut pas reprendre correctement sa respiration, ça colle à la peau”. 

Comme Elodie a un petit visage, le masque lui remonte sur les yeux, elle ne voit plus rien. Cette maman qui en est à son deuxième accouchement explique que celui-ci n’a rien avoir avec le premier. “Ça a été très lourd et compliqué”. Elodie précise qu’aucun médecin ne lui a demandé de faire de test PCR.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour Sonia, le port de masque pendant l’accouchement n’est que le reflet de notre société actuelle. Ces obligations sans sens à l’égard des femmes en disent long sur le rapport de la femme dans notre société. “Tout est dénigré sur la femme. Le masque n’est qu’une goutte d’eau qui reflète ses violences. Les femmes sont encore une fois écrasées, le patriarcat n’a pas de limite”.

Écoutez la colère de Sonia Bisch à l'égard de la condition actuelle des femmes qui accouchent : 

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Affiche affichée dans le service maternité d’un hôpital parisien.

Se protéger, une priorité pour les soignants

Le collectif n’est pas le seul à dénoncer ces pratiques. Adrien Gantois, président du Collège National des Sages-femmes (CNSF), estime le masque et l’accouchement incompatible. La sage-femme préconise que les équipes médicales s’équipent de masques FFP2, charlottes, lunettes de protection et surblouses à usage unique pour se protéger ce qui permettraient de bannir les masques portés par les futures mamans dans les salles d’accouchements. Si Joëlle Belaisch Allart, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), partage l’idée de privilégier la protection de ses soignants et ses parturientes, son avis diverge sur le procédé “les masques ffp2 sont difficiles à porter pour le corps médical, ils sont encombrants” . ”La seule fois où j’impose leur utilisation auprès de mon équipe c’est lorsque la patiente refuse le port du masque et de la visière“, explique la responsable du pôle mère-enfant du centre hospitalier des Quatre-Villes à Saint-Cloud (92). La médecin ainsi que le Dr Thierry Harvey, gynéco-obstétricien, responsable de la maternité des Diaconesses à Paris restent unanimes : “Pour l’immense majorité des femmes ça ne pose pas problème de porter le masque et rares sont les refus”. “Si ça pose un soucis à une femme, nous lui proposons de rabaisser son masque pour reprendre son souffle et de le remettre”, raconte Justine Danneels, sage-femme à l’hôpital de Jossigny.

Concernant une potentielle augmentation du recours aux forceps, à la ventouse, aux pinces… et  à davantage de déchirures du périnée pointées du doigt par le rapport de Sonia Bisch, Joëlle Belaisch Allart y répond par une étude menée dans trois maternités chacune accueillant plus de 3000 accouchements, la sienne, le CHRU de Nancy et les Hospices Civils de Lyon. Les médecins ont comparé entre mars et octobre 2019 et à la même période en 2020, le taux d'utilisation des instruments. Les résultats restent sans appel : le taux de césarienne, épisiotomie et extractions instrumentales de ses trois établissements sont exactement les mêmes au cours de ces périodes. “Il s’agit ici d’un faux problème, le vrai c’est est-ce que mon compagnon peut m’accompagner ?“ déplore la médecin. “Nous demandons qu’une chose c’est de retrouver une salle de naissance comme avant, que les sages-femmes n’aient plus de masques, qu’on est plus les mains lisses car on les as lavées 100 fois avec le gel hydroalcoolique. C’est la Covid-19 qui est violente, pas nous.”

Ce que dit la loi en France et à l’international, et quelles sont les solutions ?

 

En France, le CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français), a fini par s’accorder sur un compromis qu’il révèle le 30 septembre à la suite de longs débats internes : il encourage le port du masque pour les parturientes mais rappelle qu'il est interdit de l'imposer. Propos auquel s’associent Olivier Véran, Élisabeth Moreno et Adrien Taquet : “Les ministres souhaitent rappeler que le port du masque chez la femme qui accouche est souhaitable en présence des soignants mais qu’il ne peut en aucun cas être rendu obligatoire”.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De son côté, le Collège National des Sages-Femmes recommande tout de même de ne pas faire porter de masque aux femmes lors de leur accouchement, et encourage la présence du co-parent lors de la totalité de l'accouchement.

À l'international, de nombreux pays conseillent également le port du masque lors de l’accouchement, malgré les précisions de l'OMS depuis le début de la pandémie. À savoir qu'il “ne faut pas porter de masque quand on fait de l’exercice car les masques peuvent réduire l’aisance respiratoire”. En effet, une étude autrichienne de 2005 (par l'Institut d'Anesthésiologie de l'Université Technique de Munich Klinikum rechts des Isar) a prouvé que le port du masque chirurgical entraîne une accumulation de CO2, une réinhalation accrue de CO2, conduisant à une augmentation significative du CO2 dans le sang.

On observe une prise de position plus fidèle à ces recommandations dans certains pays. À commencer par le Collège des sages-femmes britanniques, qui est encore plus clair sur le sujet : "Les femmes en travail ne devraient pas être invitées à porter des masques ou toute forme de couverture du visage". Déclaration rejointe par le Collège des Gynécologues et Obstétriciens américain (ACOG)  “Quand vous êtes à l'hôpital ou en maison de naissance, vous devez porter un masque si vous avez le COVID-19. Mais lorsque vous poussez pendant le travail, le port d'un masque peut être difficile”. La Norvège, la Hollande, l’Autriche font également partie des pays qui autorisent les femmes à accoucher sans masque.

 

Pour éviter le port du masque par la parturiente, et permettre de rassurer les soignants, plusieurs solutions ont pu être proposées. Le gouvernement encourage  “la réalisation d’une recherche du SARS-CoV-2 (RT-PCR si elle peut être obtenue rapidement ou test de dépistage rapide antigénique en cas d’urgence)”, afin de pouvoir adapter les mesures en fonction du statut infectieux de la patiente.

Le CNGOF réfléchit à “proposer le recours à une visière adaptée au visage”, quand le CNSF préconise "que la patiente asymptomatique puisse retirer son masque lors du travail et des efforts expulsifs. Le personnel soignant devra être équipé de masques FFP2, de charlotte, de lunettes de protection et de surblouse à usage unique", ajoute le document, jugeant la protection suffisante dans ces conditions pour décharger les futures mères. 

Ces recommandations sont également les conclusions de plusieurs avis à l’international. Comme celles du Collège des Gynécologues et Obstétriciens américain “votre équipe soignante doit porter des masques ou tout autre équipement respiratoire protecteur. Ils peuvent également prendre d'autres mesures pour réduire le risque de propagation du virus, y compris le port de lunettes ou d'un écran facial”;

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Olivier Véran, ministre de la Santé, source : AFP

Bien que l’équipe soignante réclame à juste titre des protections contre le virus, l’avis des patientes est encore une fois écarté des discussions en haut lieu. La mise en place de ces différentes solutions permettrait d’imiter les pays voisins ayant réussi le pari d’un accouchement sans masques et sans risques.

En attendant, il sera nécessaire pour les futures mamans de porter une attention toute particulière aux pratiques des maternités concernant le port du masque durant l’accouchement.

Alice Guionnet, Maée Coubeau-de Martynoff et Lisa Connan

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